Jusqu'au 25 Avril 2011 le musée du Louvre expose les incroyables têtes du sculpteur Franz Xaver Messerschmidt. La presse pour parler de son travail se réfère beaucoup à sa folie et les termes faciles volent :
fou tordu, fol halluciné, hypernarcissique, grand parano, schizo etc... Nous disposons aujourd'hui de toute une batterie de termes à la fois précis et flous, un peu attirants et tapageurs aussi puisque la folie est devenue un argument de vente, une sorte de diplôme d'authenticité artistique: regardez! il est fou, il est sincère! Pensez à Van Gogh et à sa fameuse oreille! Notre gout pour le sensationnel ne se dément pas et les troubles de la raison nous fascinent et nous révulsent tout autant. Pourtant, il me parait dommage de regarder le travail de Messerschmidt sous cet angle exclusif et de se laisser happer par son histoire plutôt que par les œuvres elles même. Ce qui me frappe le plus dans ces multiples têtes de très belle facture aux expressions exagérées c'est justement la représentation de sentiments généralement évacués de la sculpture de cette époque (1770) alors très vouée au solennel, à la représentation flatteuse, à une mise en valeur des qualités morales du modèle, tout ce que ce sculpteur plus qu'habile faisait parfaitement. En a t'-il eut assez de la componction et de devoir se cantonner à quelques expressions convenues? Poussé donc par sa folie (dans quelles proportions?) et par une personnalité de physionomiste hors norme, livré à lui même puisque licencié et donc libre artistiquement, il produit un art inouï, encore jamais vu: des rictus, une expressivité paroxystique mais si classique, si maitrisée, parfaite et élégante! Les visages semblent en surtension,les plis et l'écrasement des chairs font émerger des émotions qui semblent se révéler et se refuser en même temps. Ainsi" l'homme sombre et sinistre" n' est qu'obturation de la zone des sens, lèvres closes,yeux fermés, narines pincées..."l'odeur la plus violente" ressemble à un baiser qui se refuse finalement; les visages sont généralement saisis en pleine contrainte -et non détendus et confiants comme le voulaient les canons de l'époque- affleurent alors le doute, le refus, la contestation rentrée, la réprobation franche, le rire, l'interrogation... toute choses que la photographie saisit très bien désormais mais qu'aucun sculpteur jusque là n'avait si magistralement exposé. Le choc de l'art de Messerschmidt repose sur la mise en évidence des tiraillements dus aux émotions et de la poussée des sensations internes affleurant sur les visages par des contractions qui ne troublent pas l'équilibre fabuleux et l'élégance magistrale du travail de sculpture.Chose d'autant plus étonnante chez un esprit ravagé par de persistantes visions! Qui peut se targuer de négocier avec ses hantises, démons et angoisses avec autant de talent et de panache que ce sculpteur solitaire et impressionnant? Il semble avoir payé sa merveilleuse précision et son acuité au prix fort, mais en oubliant les poses flatteuses et compassées Messerschmidt accède à la vie qui bouillonne sous la peau, sans artifice.N'est ce pas le sens d'une œuvre d'art de nous ramener à la vie? A mon sens, l'art nous permet d'éprouver des émotions, de penser des pensées que nous ne pouvons ou ne savons pas exprimer.
L'art est un peu un permis de sentir et de sentir avec vivacité, en toute largesse et dans le plein épanouissement de nos sens retrouvés.
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